RHINOCEROS casting/Catherine Belkhodja

Rhinoceros a envoyé un SOS.

Je n’ai jamais su résister aux SOS.

Ce SOS s’adresse à la cantonade et, même si ma présence sur Terre n’a jamais été parfaitement justifiée, on peut au moins considérer que je fais partie de cette cantonade.

 
Comme l’annonce précise qu’une femme est demandée en urgence, je peux donc retenir deux critères : je fais partie de cette moitié du monde concernée puisque je suis une femme.

De plus, je suis justement disponible au pied levé: personne ne m’attend plus nulle part.
C’est bien la première fois de ma vie que cette disponibilité peut réellement coïncider.

Avant, j’avais toujours ma tête ou mon coeur encombrés par des êtres ou des obligations multiples. Or, la brève rupture de contrat

que je viens de recevoir prouve que je ne suis plus vraiment indispensable.

Les choses se passent la plupart du temps de la même façon:
j’ai mille projets .

Cependant, dès qu’on m’appelle pour me proposer de partager un projet extérieur- celui de quelqu’un d’autre- l’autre devient immédiatement prioritaire.

Je ne pense plus qu’à l’autre et me demande comment je peux intervenir dans sa vie pour que cet autre puisse réaliser son projet ou son rêve.

Alors je me sens des ailes. J’ai envie de devenir son ange.

Ange n’est pas un métier très défini.

Ainsi est-il difficile de trouver des annonces d’emploi d’ange dans la presse quotidienne ou même hebdomadaire.

J’ai beau scruter les petites annonces, je n’ai jamais vu de proposition d’emploi pour les anges.
Je me suis tournée alors vers la presse spécialisée.

Parfois quelques lignes laconiques me font croire qu’on pourrait avoir besoin de moi. Je me suis formée à de nombreuses disciplines pour pouvoir répondre au mieux à ces éventuels appels.
Je réagis vite, envoie une candidature que je pense alléchante.

Hélas  les réponses sont a plupart du temps négatives.

Après de nombreuses années, j’ai dû me rendre à l’évidence. Je  ne réponds pas aux critères réels visibles ou invisibles des annonces publiées. J’ai percé le mystère des plafonds de verre.
J’ai tout tenté pourtant : Blonde , brune ou rousse.
Je ne suis jamais celle qui est recherchée.

 
Pourtant, je ne suis pas non plus restée totalement au bord du chemin. L’air de rien, j’ai quand même fait quelques petites choses.
Si je pointe ces petites choses, je peux tracer une ligne en zig zag reliant ces petites choses en respectant un ordre chronologique qui finit par définir un passé. Un passé un peu chaotique certes, mais un passé quand même.

 
Donc si mon passé finit par se dessiner sur le sable mouvant de la vie, c’est qu’à un moment donné , il y a quand même eu un présent . Un présent pas toujours très clair, souvent même assez confus, mais un présent tout de même.
Comme force est de constater que ce présent n’a jamais pu s’adapter aux petites annonces publiées , puisque mes propositions étaient souvent refusées, c’est que quelque chose d’autre a fonctionné d’une manière ou d’une autre.

J’ai avancé d’un point à l’autre. Il est temps d’essayer de comprendre ce qui me meut.

A défaut de comprendre mon présent, je dois regarder le passé.. Ce qui me meut est ce qui m’émeut, tout simplement. 


Cela est en effet ma seule cohérence . J’ai avancé d’un battement de coeur à l’autre. Comme on ne conteste plus que le  battement d’ailes d’un papillon peut changer le monde, il n’est pas absurde de considérer non plus que d’une émotion à l’autre, une sorte de petit chemin s’est construit. Si ce chemin, tracé sur le sable, s’efface à chaque  souffle du vent, il a pu -pendant quelques minutes au moins- indiquer la trace de mes pas.

Sur ces sables mouvants, il y a eu – un jour ou l’autre- des pas imprimés en pointillés qui se dirigeaient forcément vers quelque part.

Poussières nous sommes, et nous redeviendrons poussières.

Oui mais, en attendant, est-ce présomptueux de tenter d’analyser la direction prise par nos pas ?

Il m’a fallu bien du temps pour me résoudre à me limiter à comprendre. Avant, je pensais que je piétinais sur place en attendant de pouvoir choisir. Les nécessités m’ont souvent empêchée de vraiment choisir.

Il y avait ce Réel qui me talonnait et me forçait à relativiser mes envies. Mon imaginaire me portait à bondir et à m’envoler vers l’inconnu.

Le Réel , accroché comme une sangsue à mes talons, me ralentissait ou me freinait.

Je me consolais en ayant la certitude que je finirais par le vaincre.

Et puis, l’air de rien, les années ont passé.

Je ne puis qu’observer la trace fugitive de mes pas sur le sable.

Puisque l’avenir ne pouvait se construire en répondant aux petites annonces, il n’était pas interdit de rêver.

Quitte à rêver, autant rêver en grand.

Je voulais tout.

Pas une déclinaison du verbe avoir, mais  plutôt du verbe être.

Je voulais vivre 1000 vies.

Le raccourci pour ce genre d’ambition, c’est d’être journaliste ou reporter afin de découvrir le monde,  devenir actrice pour vivre, par procuration pendant quelques instants, la vie des autres.

On peut aussi être architecte ou urbaniste

…et définir des lieux de vie

ethnologue

et observer des vies lointaines

scénariste

et  imaginer des destins multiples

conteuse

de vies réelles ou imaginaires

chanteuse

pour les célébrer,

ou simplement se contenter de quelques élucubrations philosophiques en jongleant avec ces vies éparses.


On peut encore  inventer des jeux de puzzles

et trouver une cohérence à tout ce chaos,

romancière pour inventer d’autres chaos.

Je voulais tout vivre, tout connaître.

Ces buts fixés paraissaient multiples et lointains. Il me fallait définir des étapes . Je posais des petits drapeaux pour indiquer la route à suivre.

Là aussi, ce n’était pas facile d’aller d’un petit drapeau à l’autre.

D’un mirage à l’autre, ces petits drapeaux constituaient des oasis où je pouvais reprendre des forces pour continuer mon périple.

Forcément, il était inutile de chercher un parcours fléché par avance.

Cela n’existait nulle part.

Seule mon intuition pouvait me guider.

Etait-ce pour autant un désert ?

D’un battement de coeur à l’autre, il y avait quand même de petits hasards qui ponctuaient mon chemin. Des petits signes qui m’indiquaient que je ne faisais pas totalement fausse route.

Des petits clins d’oeil lisibles par moi seule.

Je connaissais bien l’histoire du petit Poucet que ses parents allaient perdre dans la forêt. L’enfant semait des miettes de pain pour revenir sur ses pas quand il se croyait perdu.

Les petits oiseaux se précipitaient sur les miettes pour se nourrir et  les repères n’existaient plus.

Bien souvent le chemin que je traçais dans la forêt et parfois même dans la jungle,  à coup de mâchette, disparaissait au fur et à mesure de son tracé .

Des oisillons- parfois de vrais vautours- fonçaient en piqué sur ces miettes. J’étais déjà partie ailleurs.

Je savais qu’un jour , ces miettes deviendraient petits cailloux et qu’enfin, je pourrais retrouver mon chemin.

Ces petits cailloux malgré tout se faisaient attendre.


En compensation, je posais quelques galets récoltés sur les plages d’Etretat. C’était beaucoup plus lourd et plus pénible à transporter; Je sentais la fatigue. Entretemps, mes amours passagères avaient donné naissance à des petits oisillons qu’il me fallait nourrir et protéger. Ce n’était pas si simple.

Mais quittons nos oisillons et revenons à notre rhinocéros qui était le vif du sujet. L’annonce de Rhinocéros indiquait une urgence.
Il fallait une actrice maintenant là, tout de suite.

Je buvais du petit lait.
J’étais femme;  donc un bon point.
J’étais acrtrice. autre bon point.
J’étais disponible; troisième bon point.

Ce trio d’avantages certains m’incitait à poursuivre le décryptage de l’annonce.

Je me sentais la même curiosité impatiente que celle d’une archéologue sur le point de faire une découverte exeptionnelle.

Un peu comme Champollion à la veille d’éclaircir le mystère de la pierre de Rosette.


Il fallait creuser encore davantage et mobiliser tous mes sens en éveil, et mes réminiscences d’expériences dans ce domaine.


L’annonce  se détachait sur le fond noir de mon écran.

Rhinocéros était écrit en lettres majuscules roses.

La description du besoin urgent était écrit en minuscules lettres blanches, suivies de trois liens hypertextes en bleu sur lesquels on pouvait cliquer.

J’avançais lentement dans cette grotte inconnue et obscure en m’attendant à découvrir, à la lumière d’unfaisceau lumineux,  quelques superbes stalagtites ou stalagmites.

Le premier lien indiquait la page à apprendre par coeur pour le casting: un superbe monologue où il était question de féminisme et d’engagement. Coup de coeur assuré pour ce très beau texte.

Un prénom surgissait du néant: Catalina.

Ce prénom me semblait familier: pas si loin de Catherine.

Rassurée par ce prénom , je m’avançais un peu plus loin à l’intérieur de la grotte. J’avais moins peur d’appréhender l’obscurité et l’inconnu. Cette fois ci, le nom de l’auteur du texte apparaissait. Tiago Rodrigues. Ce nom aussi ne m’était pas non plus inconnu.

Un soir , au Théâtre de la Bastille, il avait invité une personne du public à venir le rejoindre sur scène.

Rien ne pouvait me faire plus plaisir mais je ne voulais pas m’emparer de suite de ce plaisir, sans avoir eu la certitude que je ne le volais à personne.

je laissais passer quelques secondes qui me parurent des heures afin de vérifier qu’ aucune autre personne du public n’avait pas tilté
Personne ne semblait intéressé.
Tiago Rodriguez avait eu le temps de reposer la question :

J’étais indignée qu’il doive autant insister pour qu’on lui réponde !

Je me suis donc précipitée alors sur la scène, m’autorisant cette fois-ci le droit d’être égoîste et de prendre cette place sur scène.

Le reste, je ne m’en souviens plus vraiment. J’étais juste heureuse de partager ce moment de théâtre et de vie. Pour rien au monde, on ne pouvait me l’arracher.

J’ai su bien plus tard que Tiago Rodriguez était aussi auteur, et directeur de théâtre au Portugal. Une personnalité importante très reconnue en France. On venait même de lui confier la direction du festival d’Avignon !

Juste après ce nom qui me transportait dans ce pur moment de bonheur éphémère au Théâtre de la Bastille, il y avait la pièce .
Elle était découpée en scènes que je lisais avec voracité.
Elle me parlait personnellement.

Elle me concernait dans mon intimité.
Il y avait mon parcours de femme, de militante, de mère aussi.
J’y retrouvais mes actes et mes certitudes, mes rêves, mes petits bonheurs mais aussi mes déceptions et mes échecs.
Cette pièce, elle était pour moi.

Le troisième lien en hypertexte bleu était la note d’intention. Elle était bien écrite, sincère, bien agencée et structurée.

Elle indiquait un travail courageux établi depuis deux ans, interrompu par le fléau du covid.
C’était une jeune metteuse en scène franco-algérienne, qui comme moi portait un prénom français et un nom algérien.
J’avais l’impression de retrouver une petite soeur.

Je connaissais déjà ses doutes et son courage pour mener à bien cet ambitieux projet.

J’avais en effet effectué le même parcours avec mes deux pièces précédentes. La même force pour s’imposer malgré les embûches.
Je voulais la soutenir et l’aider.

Répondre à son appel non seulement pour faire mon métier d’ange, mais aussi pour le plaisir de jouer. Je ne doutais pas un seul instant que cet appel était pour moi, pour moi seule.

Nous nous étions trouvées.

En remontant légèrement en arrière, on pouvait comprendre que l’annonce était là depuis quelques jours. je vérifiais la date: elle était datée du jour même. Donc l’appel était encore valable. Je pouvais vérifier son antériorité: Plus l’annonce remontait dans le temps,  plus je pouvais comprendre que cet appel était crucial.

Je voulais cliquer sur «  j’aime » ou sur «  j’adore «  et incruster un petit coeur pour signaler rapidement mon intérêt, avant même dde rédiger une réponse plus formelle.

Vite , un petit coeur.
Il était seul en bas de l’annonce.

Se pouvait-il vraiment que je sois la seule concernée?

C’était trop beau et je me sentais déjà sur un petit nuage.


Très vite, mon instinct de femme sauvagem’a réveillée sans ménagement.

Trois échecs successifs pour des projets qui partaient bien m’avaient anéantie.

Chaque fois, la même jubilation d’avoir décroché quelques chose de précieux.

Chaque fois, le même plaisir à partager avec d’autres cette petite victoire qui me rendait si heureuse.

Et par trois fois, une incroyable trahison.

Par trois fois , un vautour avait foncé sur sa proie.
Il me restait l’amertume d’une trahison venue d’un ou d’une amiE,  la déception du projet avorté,et la tristesse de devoir continuer, malgré tout, à avancer.

Qu’au moins l’expérience me serve.
Ce qui sépare l’Homme de l’animal, c’est son intelligence à tirer partie des expériences vécues.
J’enlevais donc illico presto mon petit coeur, pour ne pas attirer l’attention.


Vite , une réponse dans la messagerie pour envoyer ma candidature.

J’étais impatiente de connaître le lieu et l’heure du futur rendez- vous. En guise de hors d’oeuvre, je commençais à rechercher quelques informations sur cette jeune metteuse en scène.

Les avancées echnologiques peuvent être assez effrayantes.

En à peine deux minutes, on peut trouver quelques informations sur n’importe quelle personne X , exerçant un tant soit peu dans le domaine médiatique. Avec un peu de chance, on retrouve immédiatement une page facebook ou instagram.


Bingo ! avec facebook je connais déjà son visage, et même sans faire partie de son réseau d’amiEs, je pouvais lui envoyer un message.


L’intérêt , c’est que je n’avais pas besoin de rédiger une lettre officielle.


Quelques signes latins dans un petit carré bleu et je pouvais donc l’avertir immédiatement que ce rôle m’intéressait.


Les négociations se passaient à la vitesse de la lumière, dans ce minuscule carré bleu de 3 centimètres sur 3.

D’ailleurs on ne peut pas parler de négociations mais plus de la liste des contraintes liées à cette annonce.


J’ai d’abord reçu d’abord la liste exacte des jours et horaires des répétitions du premier trimestre, impératives.
J’ai donnéimmédiatement  mon feu vert, sans même vérifier mon agenda.
La deuxième contrainte m’apprit qu’il y aurait deux week ends bloqués en janvier et en mars pour deux résidences avec la troupe.
L’une d’elles aurait lieu en Allemagne, partenaire du projet.
Cela ne me posait aucun problème. Au contraire, j’en profitais pour glisser au passage que je parlais allemand et que cela pouvait peut -être servir à la troupe…

Le troisième impératif concernait la date de filage et les jours précis de représentation.
Mon oui en retour.

Je me fis la remarque, en mon for intérieur , que mon anniversaire aurait lieu juste avant avant et que probablement, je ne pourrais pas le fêter pour ne pas rompre ma concentration juste avant les représentations.

Tombait alors la dernière révélation:

Aucun cachet n’était  prévu pour les acteurs et actrices.
Bizarrement, je m’y attendais plus ou moins.
Il est bien rare qu’un projet me fasse battre le coeur et qu’en plus on me paye pour cela !
Ma vie est faite de constants allers-retours entre la prise en compte du Réel avec qui je dois négocier pour m’octroyer de plus en plus de temps pour mes activités non-lucratives.
J’ai donné mon accord illico-presto.

En retour, je décrochai une heure et un lieu pour notre rendez vous.
j’étais aux anges et courus faire imprimer le texte à apprendre pour l ‘audition. J’ai pris la précaution d’envoyer un mini cv simplifié pour ne pas avoir à répondre aux multiples questions rébarbatives des auditions.

Alors que j’étais justement occupée à mémoriser le texte à l’italienne, je reçus un message beaucoup plus formel dans ma messagerie.


Madame,

Le bureau de l’association vous informe que nous ne pouvons donner suite à votre demande. car vous êtes une actrice professionnelle et avez trop de références par rapport aux autres membres de la troupe.
Je tombais des nues. « Trop de références » ?

Ce sont des mots que j’ai souvent entendus lorsque je songeais encore à occuper un poste «  dans la Culture « 
Le fait est que souvent , j’ai aidé des amis à obtenir des postes officiels dans la Culture, alors qu’ils n’avaient pas forcément les diplômes adéquats. Mais lorsque j’ai voulu, à mon tour, décrocher ce type de poste, la réponse était souvent négative, bien que je sois surqualifiée pour le poste.

J’ai donc pris l’habitude d’effacer quelques diplômes pour ne pas les «  effrayer ».

Peine perdue.
J’aurais eu comme « supérieur », des «moins -qualifiés«  et cela n’était pas tolérable car cela aurait posé à un moment ou à un autre des problèmes d’ « échelons ou de grilles de salaire ».
Les seuls postes plus souples étaient «  réservés aux cooptations ou nominations « …

Je sentais de nouveau le concept du plafond de verre s’ épanouir  dans toute sa slendeur.
Au début, avec mes deux robes et ma petite valise, débarquant d’Alger sans connaître les us et coutumes des mileux culturels, j’acceptais les refus sans trop me poser de questions.

Mais maintenant la boucle était bouclée. Les refus se reproduissaient, non plus parce que je n’étais « pas assez » mais parce que j’étais «  trop ».

Comment faire pour ne plus être « trop » ?
Comment gommer son apparence ou sa personnalité pour devenir plus neutre et plus insipide?

Il me restait un joker.

Le rendez-vous, je l’avais déjà obtenu.
J’avais décidé de m’y rendre en faisant abstraction du «  bureau du comité » et de les ignorer .
Désormais je ne m’adresserais plus qu’à la jeune metteuse en scène, ma petite soeur, ma compagne de lutte…

J’étais d’accord pour tout et avant même de donner mon accord, je pris le soin de cocher tous les jours indiqués sur mon agenda.

Cela me faisait « rater » une date butoir de remise de scénario, une invitation  à la Cinémathèque -déjàconfirmée-, un atelier de lecture à Gennevilliers et le décalage de quelques interviews.
Je me sentais performante et docile.

Ping- pong

Ma petite soeur de coeur eut sans doute des remontrances par le comité-bureau car elle m’informa que si je n’avais pas le statut d’étudiante, je ne pourrais pas être intégrée à la troupe.

J’avais la parade : J’étais étudiante en doctorat justement donc je pouvais prouver mon statut d’étudiante.

Les petits aparachnicks de Sciences-po s’en servirent comme argument. Il en allait de leur autorité: je ne pouvais pas jouer dans la troupe si j’avais un diplome de théâtre !!!
Au secours , la bêtise légendaire des administrateurs qui nous gouvernent se manifestaient dès l’oeuf.


Assoiffés de pouvoir, ces petits apprentit-crocodiles commençaient à mordiller de leurs petites dents.
Ils avaient tous plus ou moins envie de devenir un jour Président, ou au moins kalife à la place du kalife !

Alors pas question de ne pas réussir à « cadrer«  une simple saltimbanque!
D’habitude, pour me donner toutes les chances d’un projet auquel je crois, je ne lésine pas sur les détails qui me permettent de favoriser la réussite de ce projet.

J’avais donc prévu de m’acheter une perruque brune pour rendre plus crédible mon rôle de Portugaise dans la pièce.

Le seul petit bémol que j’acceptais de concéder aux petits technocrates mordilleurs, fut de renoncer à l’achat de cette perruque brune, déjà repérée dans une boutique chinoise à proximité de chez moi…

J’eus quand même la politesse de répondre à cette réponse absurde en précisant que je pouvais garantir que je n’avais obtenu  «  aucun diplôme de théâtre » , mais que j’avais juste commencé une recherche sur le cinéma.

De peur qu’il fasse le lien avec la fiction, je m’étais empressée de spécifier que cette recherche concernait uniquement Chris Marker  et que j’ignorais tout des autres sujets.

Se donner autant de mal pour rassurer des incultes promis à de hautes fonctions dans différents ministères ne m’effrayait pas.

Je me suis préparée bien à l’avance et suis arrivée malgré moi bien en avance aussi sur les lieux. Repérage du café jouxtant le lieu du casting, probablement élu par la troupe pour discuter après les répétitions.la troupe.

La direction, chinoise, me paraît charmante.
Un lieu où il fera bon se retrouver après les répétitions.
Je consulte mon agenda et vérifie que toutes les répétitions et jours de représentation sont bien notés.

J’ai prévu de vivre ces trois mois en « apnée ».

Plus de peintures, plus d’articles.
jJ’ai d’ailleurs bouclé mon dernier interview avec un magicien.
J’ai décidé de ne plus voir personne.
Je vais me concentrer uniquement sur Catarina.

Catarina a eu aussi quelques problèmes avec sa fille…
Elle se demande si elle l’a bien éduquée. Si elle a su lui apprendre à rester une femme libre et indépendante. Si elle ne trahira pas la cause des femmes et si elle transmettra elle-même cette tradition à sa propre fille, pour que de mères en filles , peu à peu, le droit des femmes puisse évoluer..

Catarina, c’est moi. Avec sa révolte, son courage , ses victoires et ses doutes. C’est encore moi quand elle réfléchit sur les valeurs à transmettre, ses réussites et ses échecs…

Je paye mon café.

Il est presque aussi cher que dans les hôtels de luxe.

Je laisse quand même un pourboire et pars en avance à l’assaut du cinquième étage – sans ascenceur- où doit avoir lieu l’audition .

Je suis un peu essoufflée et fais des pauses à chaque étage pour observer la vie de l’immeuble par la cour intérieure.
Il  a la même configuration que l’ancien immeuble où j’avais élu domicile en arrivant d’Alger.
J’avais loué une petite chambre de bonne au dernier étage sans ascenceur d’un quartier très chic.

Je devais toujours accéder à ma chambre par l’escalier de service, sauf lorsque j’accompagnais les enfants dont je m’occupais.

Dans ce cas , et «  uniquement dans ce cas «  je pouvais utiliser l’ascenceur réservé aux grand appartements bourgeois .
Je pouvais alors préparer le goûter des enfants.

A l’époque,je grimpais comme une chevrette quatre à quattre tous les étages et cet entraînement quotidien me donnait une forme incroyable !


La chambre était minuscule . Quatre mètres carrés où je pouvais me tenir debout. Le reste était en pente sous les toits. Il y avait une petite lucarne d’où je pouvais observer les étoiles. J’avais placé mon lit juste là. En face, un minuscule lavabo avec juste un robinet d’ eau froide.
J’avais investi dans une petite bouilloire dont je me servais pour faire du thé.

Comme le câble électrique était très court, je devais brancher la bouilloire, juste à côté de l’unique prise, au sol.
J’avais acheté une multiprise.
Je pouvais donc obtenir en même temps de l’éclairage pour ma lampe, de l’eau chaude pour mon thé et il me restait aussi la possibilité d’écouter de la musique .

Là aussi j’avais mes références : la petite fille aux allumettes dont l’histoire m’avait toujours bouleversée. Chaque fois qu’elle tentait de se réchauffer ou de s’éclairer, elle grillait ses dernières chances .

Je mesurais bien mes atouts : Non seulement l’électricité me donnait l’assurance que je ne mourrais pas de froid après la dernière allumette, mais en plus, j’avais le choix entre m’éclairer, me réchauffer ou même me nourrir de musique !

De plus , si je le désirais, je pouvais avoir les trois en même temps !

Le seul inconvénient de cette chambre , malgré ces trois petits bonheurs associés ( avec la contemplention des étoiles en bonus) ,

c’était le manque de recul.

Pas le manque de recul qu’on peut avoir sur les choses ou les évènements qui traversent notre vie…
Le manque de recul spatial. Tout simplement.

Je me souviens qu’un jour où je venais de terminer une toile, j’ai voulu reculer pour avoir une vue d’ensemble et apporter les dernières corrections au tableau.

Je reculais d’un pas, puis de deux. 
 
Puisque les leux le permettaient encore, je pouvais m’offrir cette petite satisfaction. J’avais mal calculé la distance et je renversai au passage la bouilloire qui frémissait au sol.

Mon pied reçut l’eau bouillante et je fus privée de thé ce soir là…

Le pied prit un volume trois fois supérieur et je dus marcher avec une canne pendant plusieurs semaines…
Je souris en pensant que maintenant, dans mon atelier,  je peux reculer un peu plus loin pour contempler une peinture.

C’est déjà ça.

En face , les fenêtres s’éclairent l’une après l’autre. On ne pouvait malheureusement pas d’ici contempler les étoiles. Plusieurs passages faisaient  diversion. Les fenêtres s’allumaient ici ou là.

Enfin la metteuse en scène arriva. Hélas, elle était  accompagnée d’un  membre du comité-bureau qui prit la parole à sa place pour se présenter et condescendre ensuite à présenter la jeune metteuse en scène.

Il aavait  déjà le ton carré, presque militaire, et parlait à toute allure comme un robot, sans sourire:


« Je dois vous informer que ce casting n’aura pas lieu car vous ne remplissez pas les critères établis par le bureau du comité. »


En général devant ce genre de petit automate précoce, il faut s’imposer. Lui rappeler les règles élémentaires de politesse:


«  Ce genre de discussion ne peut avoir lieu dans l’escalier. « 


Il rougit de confusion. Sans doute sa maman avait -t- elle tenté de lui seriner que la bonne éducation était un passeport pour sa future carrière.

Le voici donc surpris en flagrant délit de goujaterie, devant témoin en plus. Je sentis que son cerveau, dressé à réfléchir en urgence dans des situations semblables, connectait en urgence  tous ses neurones avant de rendre son verdict.

Il consulta sa montre ou plus exactement l’aiguille phosphoresene des minutes , et concèda :

« Alors juste trois minutes, au café en bas. »

J’attaquai aussitôt en relativisant son autorité. Je m’adressai directement à la jeune fille en feignant de considérer qu’il n’était qu’un modeste figurant chargé de surveiller sa trotteuse.

« Je ne comprends pas bien ce brusque revirement. Vous vous disiez enchantée de faire ce casting et maintenant vous dites qu’il ne peut avoir lieu. »

La trotteuse s’immissa dans la conversation:

«  Elodie n’est QUE la metteuse en scène. Elle DOIT considérer les critères établis par le comité bureau. »

Je rappellai que je n’avais aucun diplôme de théâtre et qu’ils pouvaient être rassurés sur ce point.

La trotteuse rougit sous l’affront. La flèche avait atteint son but.

Il tenta :

  • Le statut d’étudiant est indispensable ».

    Je rappellai que je l’avais  et que je pouvais fournir tous les justificatifs en ce sens et me tournai à nouveau vers Elodie.

  • Si vous êtes metteuse en scène sur une pièce sur le féminisme, il faut apprendre à résister un peu et à imposer vos choix!
    Sinon pourquoi choisir une pièce sur le féminisme si vous déclarez forfait au premier contretemps ? …Et si en plus vous voulez devenir un jour metteuse en scène, c’est vous qui devez diriger ! pas un groupe , ni un comité, ni un bureau!

    La trotteuse rougit :

    « Nous prenons toutes nos décisions de façon consensuelle! » 

    Je répondis du tac au tac :
  • Visiblement non puisque Mademoiselle voulait faire ce casting et que vous vous y opposez !
  • Ce n’est donc absolument pas consensuel ! SI cette décision avait lieu APRES l’audition, je comprendrais,  mais là, vous intervenez pour empêcher l’audition qu’elle avait elle-même organisée !
    Vous avez une interprétation vraiment très personnelle du consensuel… »

    La trotteuse changea de tactique. Après avoir joué l’autorité et l’assurance, elle tenta alors d’inspirer la pitié.

«  Je suis navré mais nous devons prendre en compte le financement du projet. Au CROUS, ils sont redoutables et ils risqueraient de supprimer notre subvention.! « 


Je demandai à connaître le montant de cette subvention qui les empêchait de mener le casting comme ils le souhaiteraient.
La réponse était pathétique :

« Deux cent euros »

avoua la trotteuse.

Je ne pus m’empêcher de m’esclaffer :

« Ainsi donc pour deux cent euros, vous vous inclinez déjà ! 
… Mais on peut trouver beaucoup plus et se passer de leurs deux cent euros ! » 


Il avoua encore plus piteusement:


– « Mais il y a mille euros aussi venant de Sciences Po. »

J’avais du mal à imaginer que Sciences PO , connue pour sa belle ambition d’ouverture, et qui avait su mettre en place de vraies actions en ce sens, fasse du chantage pour le casting.

« Cela me paraît inconcevable  et surtout, pas du tout cohérent! »

« Ce sont les statuts de l’association », tenta-il de justifier …

Je le poussaialors dans ses derniers retranchements.X

« Quels sont ces stauts absurdes ? Ils existent par écrit ou vous faites vous même de l’auto-censure ?. J’essayais de réveiller sa personnalité . Je l’interpellai:

Quelle est l’importance réelle de ce projet pour vous ?

-st ce pour transmettre les valeurs de cette pièce, ou est ce juste un divertissement dans votre carrière? A quoi vous destinez vous ?
Voulezvous devenir Président, Ministre ou Haut fonctionnaire ?? Tracer votre route dans un parti ?
De quoi rêvez vous, en fait?

la trotteuse devint humaine. Je voyais enfin une étincelle de vie dans son regard.

«  J’aimerais devenir anthropologue… faire de la recherche. »

Ses épaules se sont affaissées. il parlait d’une voix douce maintenant. Il paraîssait presque libéré…

Elodie, elle, visait un poste dans une ONG.

Elle ne souhaitait pas spécialement devenir metteuse en scène .

«  C’est juste un loisir, précisa-t-elle, ce qui compte surtout , ce sont nos études. On veut juste rester amateurs. »

« Mais dans «  amateur » il y a la racine aimer… ». Ce n’est jamais honteux d’être amateur… Mais il faut quand même faire les choses avec son coeur! «

Ils se regardaient et s’interrogeaient mutuellement…
Timidement , ils avouèrent:
«  C’est pour ça qu’on veut pas faire de vagues … »

L’anthropologue ajouta

«  Déjà , on s’est battu pour la Terre… On avait créé un mouvement de contestation mais maintenant, il faut qu’on pense à nos études … »
Je tentai quand même de réveiller un peu Elodie;

« Mais la lutte pour le droit des femmes, le féminisme, ça vous parle quand même ! Dans votre vie, dans vos postes futurs , il faudra vous imposer, qu’il s’agisse de théâtre ou d’autre chose…
il y aura des causes à défendre, des prises de position à assumer. Rien n’est jamais acquis vous savez … Dès qu’on cesse de se battre et qu’on se soumet, les maigres acquis reculent …C’est bien le sujet de la pièce d’ailleurs. Si vous voulez respecter les valeurs de cette pièce, vous devez vous imposer… . Cette pièce , vous pourrez la faire tourner, obtenir des moyens, d’autres lieux…

« C’est juste une pièce de théâtre amateur… On veut pas aller plus loin…, ajouta -t elle d’ un air navré…

J’étais abasourdie. Voici donc une actrice , refusée car trop

«  pro » ( moi) , pour une pièce féministe dirigée – non pas par une jeune metteuse en scène, mais téléguidée par un comité-directeur ,

qui se lance dans une pièce avec des amateurs , « qui n’aiment pas assez «  pour donner à la pièce toute son aura et lui permettre de se déployer dans le monde…
Des carriéristes qui refusent de permettre à la pièce de grandir et de faire carrière, de «  rayonner « …


Ainsi donc ce choix de pièce féministe n’ était qu’une posture , un sujet à la mode comme un autre, comme l’écologie qui devenait la coqueluche de tous les partis qui prenaient bien soin, en catimini , de bloquer toutes les initiatives permettant des avancées notoires…
Tuée dans l’oeuf , cette pièce féministe à la mort programmée…X

Je songeai à tous ces écrivains ou metteurs en scène féministes d’opérette qui font de grands discours en Europe, pour séduire leur auditoire ou leurs lecteurs, et se livrent à des opérations abjectes en coulisse pour saboter les femmes qu’ils considèrent comme leurs rivales … En ai-je rencontré de ces féministes de pacotille !

Maintenant je regarde les actes et ne fais plus attention à leurs discours…Après quelques verres, ils sont pourtant très prolixes en la matière, ceux qui enferment leurs femmes, leurs mères ou leurs soeurs en jouant les pachas !

Il fallait me rendre encore à l’évidence. Ce casting était voué à l’échec. Non pas par ce que j’aurais raté mon audition , mais parce que j’avais TROP de références et surtout parce que, visiblement, j’étais TROP féministe pour eux…

Bredouille , me voilà encore bredouille.

Je n’ai même plus la consolation de me dire que je peux encore améliorer mes compétences et qu’un jour, je pourrais en disposer.

Là c’est pire… J’ai été TROP loin. Il faut que j’apprenne à désapprendre… Oublier ce que j’ai appris… me diriger vers l’incompétence en quelque sorte…

Concentrer mes efforts sur
REDEVENIR INCOMPETENTE…
Mais est ce vraiment ce que je souhaite ?

Heureusement , la vie me sourit souvent.
Autant je ne plais jamais aux adorateurs de l’incompétence, autant je fais de jolies rencontres qui bouleversent mes itinéraires . 
Et ce sont ces multiples chemins de traverse qui ont finalement constitué mon chemin.

Le mot Rhinoceros qui m’avait interpellé est vidé maintenant de toute substance… Il n’y a plus qu’une carapace morte … Et de gros yeux stupides au raz de l’eau. Savez vous que les rhinoceros ont une très mauvaise vue et qu’ils sont prêts à attaquer tout ce qui bouge ? Pour les rassurer, il faut rester très statique. Alors, quand on se tient bien à sa place , sans bouger, les rhinoceros ne nous prennent plus pour leurs ennemis…Ils retournent vaquer à leurs occupations de rhinoceros… Se baigner dans une mare glauque…

Catherine Belkhodja
1.1.2023

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