Pour Michel ZIMBACCA / Joël Gayraud

                    Pour Michel Zimbacca

Phot by / Zazie (Evi Moechel)

    À l’accablante question du maître d’école : « Eh bien ! mes petits, que voulez-vous faire plus tard ? », c’est à qui lève la main et déclare : « Coiffeur ! », « Aviateur ! », « Avocat ! », « Pompier ! » … Seul un enfant enveloppé dans ses rêves demeure coi sur son banc. Intrigué, le maître lui demande : « Allons, Zimbacca, tu n’as pas une petite idée concernant ton avenir ? »  Rappelé à l’ordre de la pâle réalité, Michel répond : « Si. Je voudrais être un singe ». Toute la classe reste bouche bée, et le maître consterné de s’écrier : « Mais un singe, ce n’est pas un métier !  ». « Non, répond l’enfant, mais les métiers ne m’intéressent pas. J’aime mieux d’être un singe qu’avoir un métier ». Éclat de rire général. Ceux qui singeaient les adultes ne soupçonnaient pas que Michel ne singeait personne, mais signifiait par là son inébranlable singularité. Devant les moqueries il n’a pas démordu de son choix de vocation.

    C’est il y a environ trois ans, après la parution de son recueil Sans cent vierges ni virgule, que Michel m’a raconté ce souvenir d’enfance où l’espièglerie se noue au sens aigu de la liberté. Ce singe, qui figurait un idéal du moi délivré de toute utilité sociale, il l’a reproduit sous forme d’une effigie de couleur verte, qu’il apposait parfois comme un sceau aux dédicaces qu’il signait pour ses amis.   

    Car Michel Zimbacca, ce qui est de plus en rare de nos jours, avait des amis. Dans la discussion, il écoutait beaucoup, il parlait peu, et soudain, au moment qui convenait, d’une voix égale, il décochait, telle une flèche, le mot juste. Lorsque Guy  Girard et moi préparions l’exposition de Saint-Cirq, nous avons trouvé plusieurs dessins sans titre. Nous lui montrions le dessin, il le regardait quelques instants, puis lui donnait un nom, qui s’imposait de toute la force de l’évidence. On eût dit le premier homme nommant les animaux.

    Une des réussites de ce genre fut l’intitulé de sa première exposition personnelle à la Galerie l’Usine en 2017 : « Libre Moiseau ». Non content d’être espiègle et joueur comme le singe, Michel se savait libre d’explorer toutes les dimensions de la vie, affranchi de l’esprit de lourdeur, comme l’oiseau qui se rit de la pesanteur. Libre de faire comme de ne pas faire. Libre notamment de n’avoir aucune de ces petites poses qu’aiment à prendre les artistes ni aucune des pauvres ambitions qui les taraudent : parader, réussir, se faire reconnaître, avec accrochage d’un hochet à la boutonnière au besoin. Avant d’entrer dans sa dixième décennie, il n’avait jamais exposé ses œuvres autrement qu’à la faveur d’assez rares expositions collectives, où elles se joignaient à celles de ses amis surréalistes. Il en avait offert certaines à sa compagne, à ses proches, d’autres éclairaient ses murs, dont cet extraordinaire objet qu’est Le Présent du présent, hommage de King-Kong à August-Ferdinand Moebius. King Kong, le singe des singes, payant tribut à la topologie. Mais nous avons trouvé aussi des dessins et des tableaux rangés dans des cartons, oubliés sous les lits. Retrouvés pour la plus grande joie de leur auteur, qui les croyait perdus. 

    Comme il ne se payait pas de mots, Michel pensait de préférence en images. Elles coulaient de source à la pointe du stylo dans ses poèmes, qui n’ont été recueillis, à l’instance de ses amis, comme toujours, qu’à deux occasions et sur le tard. Elles se sont cristallisées dans ses films, dont le plus célèbre, L’Invention du monde, ne nous a donné pas moins qu’une nouvelle genèse, une genèse véridique et palpable où les esprits et les dieux ne sont autres que les figures, les masques et les mythes créés par l’homme comme autant de « filets qu’il a lui-même lancés et où il se prend pour son bonheur ou son malheur ». 

    Né sur les rivages lunaires de la mer de la Tranquillité, beau et bienveillant comme le hibou totem des Indiens Haïda, mais capable en de très rares fois de se métamorphoser en oiseau-tonnerre, Michel Zimbacca, qui avait l’âge du surréalisme, est resté toujours fidèle à ses premiers émerveillements. C‘est à chaque instant de sa vie qu’il a gagné son éternelle liberté. 

Joël Gayraud, le 9 avril 2021

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