Dialogue avec Roger Ballen par Mohsen Elbelasy

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Traduit par Pierre Petiot

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https://drive.google.com/file/d/1Rbc75XB9p8IBOUGemlWva7a6O1tw8ie0/view?usp=drivesdk

1 – Parfois ton travail est décrit comme de la photographie surréaliste. Mais Roger Ballen se décrit-il comme un surréaliste au sens global, spécifique et historique du terme ? En d’autres termes, que signifie pour toi le surréalisme ?

Le surréalisme signifie littéralement « Au-dessus et au-delà ». Le concept est basé sur la croyance en une plus grande réalité qui transcende la raison humaine et la rationalité. Le surréalisme reconnaît l’importance de l’inattendu et l’étrange qui émergent dans les rêves et peuvent être exprimés sous des formes artistiques. Je souscris pleinement à cette philosophie car mon travail cherche à libérer et à rendre manifeste l’inconscient.

Pour être plus précis, par la juxtaposition de circonstances, de situations et d’objets, je m’efforce de présenter des œuvres d’art qui suscitent une réponse du spectateur qui les attire, tape dans des aspects d’eux-mêmes dont ils ne sont pas conscients dans leur fonctionnement rationnel quotidien. Je comprends le sens historique du mot, je l’honore et j’approuve la définition d’André Breton dans son Manifeste du surréalisme  de 1924:

● Surréalisme : Automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. 

Pour moi le surréalisme signifie la licence artistique pour exprimer une réalité qui transcende la rationalité en créant des images fascinantes et troublantes du familier avec l’étrange, pour exprimer les riches archives/référentiels potentiels inhérents de l’esprit humain, et que le subconscient peut être exploitée comme force créatrice pour l’artiste et le spectateur, pour libérer le pouvoir de l’imagination.

2 – Surréalisme et Afrique…Qu’est-ce qui te vient à l’esprit lorsqu’on met ces deux mots l’un à côté de l’autre ?

Le surréalisme s’est construit sur le mouvement Dada qui était une réponse à la complaisance de la classe moyenne et la croyance en la supériorité absolue et l’autorité de l’esprit rationnel. Le surréalisme a adopté cette attitude dadaïste qui valorisait le « changement » et « l’importance de l’irrationnel ».

Contrairement à l’accent mis par la société occidentale sur la pensée et le comportement rationnels, sur l’individualisme et la nature de soi, la société africaine met l’accent sur le communautarisme et le collectivisme et sur les rituels et les activités qui sont maintenus et pratiqués depuis des générations dans une communauté – utilisant souvent des processus séculaires qui sont irrationnels. Il n’y a souvent aucune logique derrière ces pratiques et il y a la croyance en un ordre spirituel et une ascendance d’ordre supérieur qui sont imaginaires.

Parce que je vis en Afrique du Sud, je suis exposé au fait et conscient du fait que l’ordre rationnel et le raisonnement ne sont pas nécessairement le « statu quo » ici en Afrique. Superstition, culture ancienne, les croyances et les valeurs ainsi que les pratiques irrationnelles comme la divination et le symbolisme des rêves sont plus valorisés que la pensée rationnelle et la déduction. Ainsi, la juxtaposition des mots « Surréalisme » et « Afrique » me semble tout à fait appropriée.

Il existe un mouvement appelé « afro-surréalisme » dans l’art et la littérature qui existe depuis les années 1970. Dans son manifeste, il déclare que « les afro-surréalistes restaurent le culte du passé et ils supposent qu’au-delà de ce monde visible, il y a un monde invisible qui s’efforce de se manifester, et il est notre travail de le découvrir »  Le terme expressionnisme afro-surréaliste a été inventé par Amiri Baraka en 1974.

3 – Nous, en tant que groupes surréalistes, nous efforçons toujours de communiquer et de travailler avec d’autres groupes surréalistes.

Mais nous n’avons pas encore trouvé d’autres groupes surréalistes en Afrique. Puisque le surréalisme, dans son ensemble, a été victime d’un processus réductionniste au cours de son histoire, penses-tu que l’idée d’un groupe surréaliste organisé est encore importante comme locomotive de l’art contemporain ?

Autrement dit, Roger Ballan préfère-t-il être un surréaliste indépendant ou bien un surréaliste impliqué dans un groupe surréaliste ?

Je reconnais pleinement que l’expression de toute la complexité de l’esprit humain est la responsabilité d’un art sophistiqué et parce que je crois à cela, je pense que l’attitude surréaliste sera toujours être extrêmement importante dans l’art contemporain. 

Je ne suis pas sûr que les groupes organisés soient nécessaires, mais c’est une opinion personnelle.Je préfère être un surréaliste indépendant, car, en tant que personne, j’ai toujours été un individualiste.

4 – Je pense que tu as une conception particulière de la phénoménologie du hasard objectif, qui s’incarne dans les objets négligés que tu utilises dans tes photographies pour détruire la monotonie des scènes visuelles de la vie quotidienne.

Si nous examinons ton travail au cours des dernières années, nous constaterons que ces créations sont liées par un lien caché.

C’est comme si tu créais cumulativement une forêt intégrée de créatures négligées et marginalisées et d’objets inanimés.  Nous voulons en savoir plus sur ta philosophie du hasard objectif et de la création de créatures et objets négligés surréalistes et brutaux.

Je ne prépare pas mes photographies avant de commencer à travailler et je n’essaie pas de définir mon travail par des mots. Mes images évoluent parfois à travers des milliers de décisions qui sont principalement le résultat de ma capacité à créer de l’ordre à partir du chaos, à lier une chose à une autre de manière à créer un sens organique complexe.

Le mot hasard est un terme très utilisé en photographie, qui à la réflexion n’est pas aussi facile à comprendre qu’on pourrait le penser. Fondamentalement il n’y a aucun hasard, on crée les circonstances qui sont responsables des événements qui se produisent.

En fin de compte, mon objectif dans les images que je crée est d’être formellement précis et de révéler un contenu complexe avec des significations associées plus profondes.

5 – Je vais te citer des noms et des mots, et tu me dira ce qu’ils représentent pour toi:

André Breton : Le créateur du surréalisme

Freud : L’un des plus grands génies de l’histoire de l’humanité. Il a pénétré les profondeurs

de la psyché humaine avec une vision originale et pénétrante.

Man Ray : Ses photographies pourraient être considérées comme l’apogée du surréalisme dans l’histoire de la photographie

Le rat : Le rat symbolise le Ça freudien dans les sociétés occidentales. Cet animal est un

archétype du chaos, de la maladie et des forces incontrôlables de la nature

Couleur blanche : Le blanc représente la fausse illusion qu’il y a de l’ordre dans le monde

Couleur noire : Le noir représente la partie de l’esprit que nous avons refoulée et que nous voulons à éviter à tout prix.

Métaphysique : la réalité est insondable.

Samuel Beckett : Je suis reconnaissant à Samuel Beckett de m’avoir présenté le concept de

absurdité dans l’existence humaine.

L’ombre : L’ombre est la partie enfouie de l’esprit qui contient l’essence de notre identité et avec laquelle nous craignons d’entrer en contact.

Afrique du Sud : L’endroit sur la planète qui abrite le Ballenesque.

Homme cochon : Parfois, je pense que c’est une insulte à un cochon d’appeler un être humain un cochon.

Théâtre : Un aspect crucial de l’esthétique Ballenesque.

Beauté : Il est toujours difficile de savoir si la beauté est archétypale ou culturelle

Laideur : Il est toujours difficile de savoir si la laideur est archétypale ou culturelle

Impossible : Comprendre le sens de la vie elle-même.

6 – Comment vois-tu  l’industrie du court métrage indépendant aujourd’hui en Afrique ?

Des milliers de soi-disant courts métrages sont produits chaque jour en Afrique. Comme partout ailleurs dans le monde, il faut distinguer les courts métrages qui peuvent être considérés comme des œuvres d’art plutôt que comme le simple enregistrement personnel d’un environnement immédiat. Il y a beaucoup de cinéastes talentueux en Afrique, qui sont confrontés au problème persistant de financement et distribution. Néanmoins, Internet a offert un moyen alternatif.

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