à notre non-lieu
À Mohsen Elbelasy et Ghadah Kamal
I
nous avons notre passé
comme les choses qu’on prétend toucher
le passé des parchemins
d’un fleuve
les nuits fin sang
et cette main au ras d’une plaie
disons bonjour l’attente
personne ne passe
les villes en feu
l’herbe
l’eau
la boue des lèvres
l’herbe et l’eau qui se versent
dans le même cœur
en retard pour vivre
les moissons d’une heure ne font jamais
un siècle
nous savons tomber et laisser ce silence
infiltrer nos murs
nos jours
quand est-ce que l’âme rendra l’âme
tout à redire
fracas et bientôt
nous réveillerons les vieilles machines
courbés sous les répertoires de la suie
peut-être une place qui reste
la serre d’une chanson
noire de peurs
de prisons
disons bonjour
et retrouvons-nous à l’heure où toujours
nous nous manquons
messieurs vous n’êtes pas d’ici
pour faire l’intérieur
des guerres heureuses
quelle défonce
quand les titres nous enchaînent
quand nous enterrons nos absents
le regard aussi rien que le passé
et des potences ensablées
à notre non-lieu
II
des pages de crispations
cris
au commencement le feu
à la fin le feu
qui répare une apparence
erre les jours
sans visage
on me demande retenez bien
le nombre de vos doigts
pas de ce pain mes amours
le sang sur les mains le mien
vous n’êtes pas d’ici mes amours
la cité coupe aveuglément
et qu’on meure pour l’enseigne
frontières
on tire sur vos condamnés
frontières gloire des hommes élégants
un soleil brille et je veux le désert
déferler
habiller les automnes bâillonnés
les flics engluent mes silhouettes
travailleur patient promeneur travelo de fortune
je tends ma main
tant de lumières qui se donnent
la rivière des noms que le temps
dénonce parce qu’il y a parce que
le chagrin
des amis épinglés aux mémoires soumises
hier aux trousses des roses sans dédicace
je salue les champs où la joie
a longtemps empreint le mois rouge
les trottoirs dévastés traînant
l’afflux des masques
familiers inconnus je vous délivre des nuits qui vous traquent
lourdes de sanctuaires minés
les cadavres ont dates c’est oublier de dire
la vie veut la vie qui follement assomme
avec ses odeurs marines dans les cheveux d’une femme
sous la peau
le continent et les cordes négrières
familiers inconnus je vous délivre de nous-mêmes
à notre non-lieu
III
une place au hasard
j’attends croiser une souvenance
qui me convient
lambeaux d’une blancheur océane
je parle du retour à la première vigne
des voix qui durent le long des chemins salés
de la mort sous les ponts de l’incertain
le fer et les nerfs
qui touche la chair de mes solitudes
j’enflamme la roue itinérante des paroles
de l’amour exsangue et ses minuits
pour le vin des jours qui comptent
l’œuvre spasmes l’œuvre saleté
mes os
retardant la chute de mes apparitions
qu’on me parle des passages où les mains tremblent
étrangères à peine regardées
je ne veux savoir de quoi la liberté a l’air
ses intrigues me trouvent souvent
mais ce corps fendant le marbre
étreint les contours de son propre torrent
me guérit des évidences
je mets ma couleur dans son paysage
la danse
continue
la faim continue
jusqu’à ces visages dont un vers sculpte l’âge
je la vois aussi s’avancer et me sourire
aiguisant avec ses deux mains les vents
le printemps qui me ressemble dites depuis
la douceur des jeux dans les rues anonymes
une caresse secoue les murs
et prend feu dites que l’amour
est de la grandeur de l’exil
d’un temps à l’autre quelqu’un retrouve dans ses bras
la joie des pensées
l’ intimité de mes évasions
ma peau ses miroirs
ma peau pour aspirer ses aveux
éclats de rire
déroutes
c’est apprendre à porter le temps
sans le présage ancien des lignes
creuser dans le temps la folie des routes
que rien n’ achève
mais dites si les nuits
s’envolent au bout d’une caresse
traçant souffle après souffle ses cartes
qu’on me parle des travers de cette aube
où je berce le reste d’une cuite
à notre non-lieu
Abel K.



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